Des "choses" que certaines personnes sont capables de voir, de ressentir, mais qui ne sont pas du domaine du matériel... Bienvenue dans un monde encore inexplicable scientifiquement. Comme vous pouvez le voir, une fidèle du blog est devenue mon associée : Passiflore ! Nos articles vous plaisent et vous voulez mettre un lien sur votre blog/site ? Merci de nous le faire savoir par courriel.
"Après sa victoire, Jean poussa son armée vers Jérusalem afin de venir en aide aux chrétiens. Mais, arrivé devant le Tigre, il manqua de bateaux pour traverser le fleuve. Il remonta alors vers le nord, ayant appris que, plus haut, l'eau en était gelée. Mais, ayant attendu en vain pendant plusieurs années que le fleuve fût pris par les glaces, il se vit contraint de regagner sa patrie."
Telle était la naïve explication qu'on donnait en Terre Sainte au sujet de cette armée de secours tant espérée et toujours lointaine. Pendant ce temps, la légende du Prêtre Jean avait pris corps en Europe, elle s'y répandit partout, bien que Yi-lou-ta-chi, qui en était le point de départ, fût déjà mort au moment où Otto von Freising rapporta cette histoire fabuleuse. Quand l'être humain s'est mis à espérer fortement quelque chose, il n'abandonne pas volontiers ses châteaux en Espagne, même si on lui en démontre la vanité. Ce fut aussi le cas de cette légende : pendant longtemps, il suffit d'un rien pour que la chrétienté se remît à croire dur comme fer en la réalité du Prêtre Jean et de ses successeurs en route pour secourir l'Église romaine et ses croisés.
En 1165, le "basileus" de Byzance, Manuel 1er, reçut une lettre bizarre que le Prêtre Jean lui aurait personnellement adressée. Des copies en furent envoyées au Pape et à l'empereur germanique Barberousse. C'était un absurde charabia qui ne pouvait émaner que d'un faible d'esprit, soucieux uniquement de faire sensation. L'auteur ne s'est néanmoins jamais fait connaître, mais il est probable que ce faux ait été fabriqué en Europe. On a avancé le nom de l'évêque Christian de Mayence et certains y ont cru effectivement. Mais c'est là diffamer le bon évêque qui fut un véritable homme d'État et un général valeureux. Barberousse en fit son chancelier. Si bien qu'un texte aussi farfelu ne saurait être de lui.
La citation du début de ce texte est assez éloquente en soi : cette énumération désordonnée d'animaux réels et fabuleux, d'espèces aussi diverses, lions, ours blancs, etc., tous habitant, nous dit-on, ce singulier pays, voilà qui donne déjà une idée du sérieux de ce texte. Mais il y a mieux encore ! Rarement autant d'exagérations ont été réunies en aussi peu de lignes : "Chaque jour, 30 000 personnes, sans compter celles qui viennent sans être attendues, mangent à notre table, et chacune se voit gratifiée de cadeaux de notre part, chevaux ou tous autres objets. La table est en émeraude précieuse et 4 colonnes d'améthyste la soutiennent... Chaque mois, 7 rois prennent leur tour pour nous servir, puis 62 ducs, 265 comtes et marquis, sans compter ceux qui sont employés dans plusieurs autres services. Chaque jour, mangent à notre table 12 archevêques assis à notre droite et 20 évêques à notre gauche, dont le patriarche de Saint-Thomas, le protopapa de Sarmogène et l'archipapa de Suse où se trouve le trône de notre gloire dans notre impérial palais... Notre empire s'étend, d'un côté, sur une distance de 4 mois de marche, mais, de l'autre côté, personne ne sait jusqu'où s'exerce notre domination."
Tel est le style de ce bavardage sans queue ni tête. Son niveau est décidément bien inférieur à la plus modeste moyenne. Les deux empereurs d'Europe flairèrent la mystification et se gardèrent d'y répondre. Mais le pape Alexandre III rédigea une réponse au "célèbre et magnifique roi des Indiens, le très-saint Prêtre". Cette réponse, rédigée à Venise le 27 septembre 1177, fut confiée au médecin personnel du pape, un certain Philippe, qui fut chargé de la remettre lui-même au Prêtre Jean. Le médecin-messager se mit en route et... l'on n'entendit plus jamais parler de lui. Nul ne sut jamais où il comptait se rendre pour remplir sa mission et où il avait abouti en réalité. La tentative du pape pour faire adhérer le Prêtre Jean à l'Église romaine resta ainsi sans lendemain.
Un demi-siècle passa sans qu'il fût plus question du Prêtre Jean. Par sa victoire de Tibériade, le 4 juillet 1187, le sultan Saladin mit fin au royaume de Jérusalem. La ville sainte fut conquise le 3 octobre suivant par les musulmans et le prêtre-roi fabuleux ne s'était toujours pas manifesté. Pourtant l'espoir se remit, une fois encore, à souffler en Palestine, plus fort que jamais. Le Prêtre Jean, ou l'un de ses successeurs, était en route... Cette fois, c'était certain ! Ce souverain apportait son puissant concours aux croisés européens pour détruire enfin l'islam détesté ! Cela se passait en 1221 et, par l'une des ironies les plus tragiques de l'histoire, c'était le terrible Gengis Khan qui se trouvait à l'origine de cette folle espérance. Une fois encore, une gigantesque armée, venue d'Orient, marchait sur l'Europe, assenant des coups terribles à l'islam et lui reprenant derechef Samarkande, justement en 1221. À cette méprise s'ajouta une déception : Georges IV Lascha, souverain chrétien de Géorgie, avait effectivement promis son aide militaire aux croisés qui assiégeaient Damiette. Il n'en fallut pas plus pour qu'une joyeuse exaltation s'emparât de tous les chrétiens de Terre Sainte, témoin cette lettre enthousiaste que Jacques de Vitry, évêque d'Akkon, adressa le 18 avril 1221 au pape Honorius III :
"Ce roi David qui est un puissant seigneur, habile dans l'art de la guerre et d'une haute intelligence, que Dieu nous a donné pour être le marteau des païens et le destructeur de la doctrine pestilentielle de Mahomet l'Infidèle et de sa foi maudite, le peuple l'appelle le Prêtre Jean... Il est déjà à 15 jours de marche d'Antioche et accourt vers le pays de la Promesse pour voir le tombeau du Christ et rétablir le saint royaume."
Soulignons que c'est bel et bien Gengis Khan qui est ainsi décrit en termes enflammés et que le bon peuple d'Akkon identifiait avec le Prêtre Jean ! Quant au nom David, qui apparaît ainsi pour la première fois à propos du Prêtre Jean, il provient justement d'un malentendu concernant l'histoire du royaume de Géorgie. Dawith 1er (ou David) fut un roi de Géorgie fort énergique qui infligea une rude défaite, le 15 août 1121, à une armée musulmane près de Didgori. Ce roi David mourut dès 1124, mais c'est bien de lui qu'il s'agit dans la lettre de Jacques de Vitry un siècle plus tard, car il y est précisé que ce nouveau David, alias Prêtre Jean, qu'a que 16 ans. Or, c'est à 16 ans que le Dawith de l'histoire est monté sur le trône de Géorgie. Toutes ces données composèrent un étrange brouillamini : on confondit en effet de vieilles réminiscences de l'histoire géorgienne avec les promesses récentes du roi Georges et les anciens récits concernant le Prêtre Jean avec les rumeurs nouvelles qui circulaient sur cette armée venue de l'Orient et menaçant l'islam. Ce qui fait qu'en 1222, les chrétiens de Palestine attendirent en même temps une armée européenne conduite par l'empereur Frédéric II et une armée asiatique, celle du Prêtre Jean. L'une et l'autre devaient faire leur jonction en Terre Sainte et y écraser l'islam. Hélas ! ce qui arriva fut assez différent !
Ibid