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Des "choses" que certaines personnes sont capables de voir, de ressentir, mais qui ne sont pas du domaine du matériel... Bienvenue dans un monde encore inexplicable scientifiquement.

Le visage dans les flammes

Cette journée d'octobre 1910 était plutôt maussade. On m'avait confié la garde de ma petite sœur pendant que mes parents étaient allés au verger, situé à une dizaine de miles de notre petite maison à Earlington, dans l'état de Washington.

Je regardai mon père conduire la charrette et s'éloigner, me sentant seule et à l'écart. La cueillette des pommes dans notre communauté était l'évènement de l'année et j'y avais toujours pris part. Mère avait hésité à emmener la petite Susan aux cheveux carotte car il faisait mauvais temps. Cela signifiait que je devais la garder au lieu de m'amuser, et pire encore, être privée de poulet rôti et d'autres bonnes choses qu'on aurait disposées sur les tréteaux à l'ombre des pommiers.

Mère m'avait laissé une longue liste de corvées, et ses dernières paroles furent : "Prends bien soin de Susan, et allume un bon feu dans le poële de la cuisine de sorte que je puisse me mettre à table sitôt rentrée." Puis après une tape affectueuse elle monta aux côtés de Papa et de mes plus jeunes frères et peu après, je les perdis de vue.

Le temps passait vite à m'acquitter de toutes ces corvées, et bientôt je n'avais plus rien à faire. Il ne me restait plus qu'à m'asseoir et attendre le retour de la charrette en surveillant la route. Cette journée semblait ne jamais finir. La maison paraissait vide et lugubre, et des ombres noires étaient tapies dans tous les coins. Il se mit à pleuvoir et à 16 h 30 il commençait à faire sombre. Je pris Susan dans mes bras et rentrai à la maison pour m'asseoir dans la cuisine près du poële. Je la serrais dans mes bras, et me berçais, d'avant en arrière, attendant impatiemment le retour de la grande charrette. Même la lumière de la lampe à kérosène ne parvenait pas à dissiper la morosité qui avait envahi la pièce. Je ne pouvais pas m'ôter cette idée de ma jeune tête que quelque chose de terrible allait arriver.

Il était déjà 5 heures lorsque j'entendis le crissement familier des roues de la charrette dans l'allée. Puis, me rappelant l'ordre de Mère d'allumer un bon feu, je déposai Susan par terre, et j'entrepris de mettre du bois dans la grille du gros poële. Je levai le couvercle et jetai des morceaux de bois sec sur les braises de charbon. Des flammes jaillirent et juste au moment où je jetais le dernier morceau de bois dans la grille, le cri de quelqu'un à l'agonie s'éleva lentement dans l'air. Les flammes s'élançaient haut au-dessus du poële et l'on y distinguait nettement un visage d'homme, que je reconnus, grimaçant de douleur. Cette apparition demeura visible dans les flammes tout le temps que dura le cri. Ensuite les flammes baissèrent d'intensité, jusqu'à atteindre le niveau de la grille. Incapable du moindre mouvement et devenue muette, je regardais mon père, qui était pâle comme un mort. Il avait entendu et s'était précipité à l'intérieur pour voir ce qui se passait.

Ce fut Mère qui nous ramena à la raison. "Qu'est-ce que tu attends pour rabattre le couvercle, tu veux mettre le feu à la maison ?" ordonna-t-elle. Elle était pâle, elle aussi, car elle avait aussi vu, et reconnu, le visage dans les flammes. Papa s'épongea la figure et rabattit le couvercle. "Il est arrivé quelque chose à Ned", dit-il enfin. "Quelque chose de terrible !"

En ces temps-là, les communications n'allaient pas vite et nous attendîmes près de deux semaines pour avoir des nouvelles de Little Rock (Texas). Oncle Ned Clinkingbeard avait péri dans l'incendie qui avait détruit sa cabane en rondins, le 12 octobre 1910, à 17 heures. L'heure exacte à laquelle nous avions vu son visage dans les flammes de notre poêle et entendu ses hurlements d'agonie, à des milliers de miles de là.

Traduit par Passiflore

Kay Norton, Fontana, Californie, septembre 1964

From the Files of Fate Magazine

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